Rien que des mots,
1 Dans
le fond d’une boutique sombre de livres anciens, installée dans une
arrière-cour voûtée du Petit-Bayonne, un vieux libraire recopiait les
renseignements nécessaires pour pouvoir lancer une recherche parmi ses
fournisseurs habitués à dénicher un ouvrage disparu. Son écriture ronde était
régulière et pondérée. Au bout d’un long moment, il relut ce qu’il venait
d’écrire à voix haute : -« L’Instruction à la Sagesse »
a été écrit par Constant Le Tellier fils, professeur des Belles Lettres,
demeurant à Paris, 6 rue Neuve Saint-Marc… Le livre publié en 1839 a été
imprimé par la maison Belin-Le Prieur, installée au 5 de la rue Pavée
Saint-André à Paris… Ouvrage didactique conçu pour l’usage des Maisons
d’Education. Moins d’un mois plus tard, un vieux
livre in folio relié plein cuir qui avait visiblement subi les outrages du
temps glissa d’une grande enveloppe brune. La couverture avait été en partie
arrachée, et d’un geste assuré le vieux collectionneur ouvrit le volume qu’il
venait d’acquérir pour une assez belle somme d’argent. L’Instruction
à la Sagesse semblait s’offrir à lui comme une liqueur de
jouvence. Feuilletant le vieux livre, Albert Leroy s’arrêta sur une sorte
d’avant-propos : « Qui découvrira cet ouvrage et l’appréciera,
verra sa vie modifiée, devenir sensée, ordonnée… » L’Instruction
à la Sagesse était avant tout un contrat de bienséance avec
soi-même, un vade-mecum pour marcher droit dans l’honneur et la fierté… Le
vendeur de l’ouvrage avait eu l’honnêteté de préciser en quelques lignes : « Ce
livre n’est pas unique. Trois ou quatre exemplaires existent encore… L’état des
stocks d’une bibliothèque de maison d’arrêt y fait allusion, mais personne ne
sait qui l’a conduit derrière les barreaux… Par ailleurs, un brocanteur du Pays
basque s’était vanté d’avoir mis la main sur L’Instruction de la Sagesse, et
selon lui, un paysan un peu rêveur l’avait acquis pour quelques francs à
l’époque… Le dernier exemplaire avait été acheté par un aventurier bellâtre qui
adorait fréquenter les milieux scientifiques en missions improbables… » L’Instruction
à la Sagesse évoquait l’importance des cinq sens et le vieux
libraire pensa qu’on oubliait souvent la dimension olfactive du monde, on
omettait aussi le minéral. Pouvaient-ils se rejoindre tous les deux ? 2 « Sur le port
de Camaret dans le Finistère, Gwénaël, les cheveux récemment poivrés sel, la
barbe taillée au couteau, les épaules carrées, laissait dans son sillage une
emprunte charismatique de Viking. D’allure sportive dans sa marinière ample et
son jean délavé, il marchait d’un pas décidé le long de la falaise regardant
l’infini. Des mois de préparations acharnées à
retaper une vieille coque l’avaient rendu fou d’impatience à l’idée de prendre
le large ! L’idée de partir une nouvelle fois en solitaire au gré des
horizons lointains sur son vieux gréement le rendait extrêmement heureux. Il
contemplait émerveillé la brume planer en ce début de mois de septembre.
Celle-ci, se dit-il, apporte aux paysages marins des contrastes voilés et
mystérieux. Le sable se confond avec le large. Gwénaël était devenu au fil du
temps un véritable passionné, un addict de la mer. Denver, son golden retriever allait être de la
partie, il avait passé de longues heures à observer les coups de pinceaux, les
ponçages, les couleurs reprisées. De toutes ses aventures, celle-ci se
distinguait par une promesse. En effet, il rêvait depuis plusieurs années
de raconter à ses vieux parents ses mémoires. Une sorte d’hommage en lien avec
leurs profonds désaccords, leurs divergences de points de vue… Des années
d’errance, de fugues, de colères, d’incompréhensions, de sermons lui avaient
laissé à la fois un goût amer. Cela lui avait aussi permis de se construire.
Certes, il reconnaissait son caractère bien trempé et assumait pleinement le
choix de son parcours semé d’embûches, de tempêtes… Pour tout cela et bien plus
encore, il leur serait reconnaissant. Maintenant, il savait qu’il allait reprendre
la mer et mettre le cap sur le Golfe de Gascogne ! 3 - Je me rends là-bas
aussi pour lui parler du livre que j'ai trouvé dans le fonds de la grange, pour
évoquer le chapitre où l'écrivain décrit une pierre unique à l'odeur enivrante…
Elle aurait des pouvoirs magiques et serait localisée en Afrique. J'ai lu dans
une revue scientifique qu'une archéologue avait découvert il y a juste un an
une pierre comme celle qui est décrite dans le livre. Et qu'elle venait
d'obtenir un financement pour aller effectuer des fouilles. C'est peut être un
investissement pour demain… Je vais te laisser, maintenant, Maman. Avec les
légumes et les fruits que j’ai récoltés, je dois aller au marché au plus vite ! En effet, avant de se
rendre à Grasse, Bixente avait chargé son camion pour aller vendre sa
production de fleurs et de légumes au marché de Saint-Jean-de-Luz. Il ajouta qu’avant d’être arrêté, il avait passé
son permis de conduire, et que cela pouvait lui servir ! Bixente pensa que
c'était un signe. Que cette rencontre ne fût pas un hasard et il lui proposa de
l'emmener à Grasse voir un parfumeur à qui il voulait vendre ses fleurs, puis après
il l'embaucherait à la ferme pour toute la saison où de nombreuses cueillettes
de fruits et de légumes allaient se succéder. Kevin était ravi ! La vie semblait enfin lui
sourire. Sa liberté de mouvement recouvrée, il avait décidé de s’investir dans
la quête d’une pierre précieuse longuement évoquée dans le vieux livre qu’il
avait lu en détention, découvert par hasard à
la bibliothèque de la maison d’arrêt. Avec leur différence d’âge, Bixente ne se doutait
pas que le jeune homme allait devenir son ami et qu’ils allaient vivre ensemble
une grande escapade ! Il s’interrogeait. Avaient-ils vraiment lu le même
livre ? 4 Un
ami m’a raconté une bien belle histoire. Depuis son enfance, dans un coin
poussiéreux, ensoleillé au printemps, un chat des plus soyeux sommeillait
chaque jour à la même place dans une maison très isolée. Opportunité ou
béatitude, après quelques heures de retraite, l’animal sortait de sa cachette,
transformé. Pour
élucider l’énigme de cette disparition ritualisée, un après-midi, intriguée, sa
maîtresse se posta en position d’attente pour découvrir le secret de cette habitude.
Si ce félin si précieux et plutôt nonchalant prenait après l’heure du repas un
chemin bien biscornu pour se retrouver dans un grenier poussiéreux, lui qui
passait le reste de sa vie diurne à lustrer son joli poil, il devait avoir une
sacrée raison. Mais
autre surprise, l’animal réagissait comme-ci il n’était pas seul dans ce coin
de grenier isolé. Il caressait de sa tête affectueuse, le visage d’une très
belle femme dont le portrait peint trônait dans un recoin de la pièce. Cette
jeune femme digne, légèrement vêtue de dentelle ouvragée éclairait le lieu d’un
sourire énigmatique. Cette Joconde d’un autre siècle portait à son cou un pendentif
ouvragé d’une grande pierre verte et scintillante. Les narines du matou extasié
reposaient juste au-dessus du bijou, il semblait inhaler un élixir des plus
savants… La
maîtresse du chat, de nature plutôt expansive, s’empressa de raconter sa
découverte auprès des différents éleveurs et primeurs du marché de son village.
Elle aimait parler, alors elle conta avec de multiples détails les péripéties
du chat, du tableau, du pendentif, du livre tenu dans les mains du portrait.
Son tempérament fantasque qu’elle cultivait lors de son travail de bénévole en
prison, l’amena jusqu’à embellir ce nouveau récit par un poème
intitulé, le chat et la dame au collier
5 Une
jeune archéologue expérimentée mâchouillait le bout de son crayon, songeuse. Jusqu’à
présent, la vie de Sarah Belmont n’avait été faite que d’évènements consécutifs
à de belles rencontres. Elle avait presque oublié l’homme pourtant si
enthousiaste dans une découverte qu’il avait tenu à lui faire partager. Un
livre rare, très ancien, qui traitait de L’Instruction à la Sagesse ! On y parlait d’une pierre précieuse
envoutée, envoutante, presque magique, mystique. Une pierre qui peut simplement vous élever vers
la Sagesse ! Elle sortit
d’un coffret une jolie pierre à la couleur indéfinie, auréolée de reflets
translucides. Elle l’avait dénichée quelques années auparavant lors d’une
mission au Sahara. Se pourrait-il ….. ? Elle décida
en une fraction de seconde de conjuguer son proche départ au Sahara pour une
nouvelle mission et la perspective d’en apprendre sur cette pierre, ses
origines, ses vertus. Elle partit
alors dans des flash-backs de cette ancienne mission avec d’autres chercheurs
lorsque cette pierre avait quasiment jailli du sol sous leurs yeux, incongrue
dans ce désert, inconnue, hypnotisante. Mais comme cette jolie découverte
n’avait pas de lien avec les fouilles de l’époque, elle en avait fait un simple
pendentif. Un simple
pendentif ? Parfois la concomitance de certains évènements vous semble de
prime abord ésotérique, il faut alors en creuser le sens. Elle se
souvint avoir vu quelque part….il y a fort longtemps …mais où donc …un joli portrait, représentant très discrètement
ce pendentif. La Pierre de la Sagesse. Était-elle unique ? Que
représentait-elle ? Sarah devait percer ses secrets. Cela lui apparaissait
brutalement comme une évidence, une nécessité dans la construction de son
avenir. Elle sortit de son bureau, une réservation d’avion dans la poche. Sarah
au Sahara. Joli signe ! Elle ne
pouvait s’empêcher de porter la pierre vers son nez, comme une addiction,
dégageant bien plus qu’une odeur agréable, mais un subtil parfum. Sarah ne
pouvait comparer cette sensation à aucune autre. Seul un véritable nez de
métier, saurait peut-être identifier la provenance de certaines de ces
fragrances apaisantes ? Cependant,
elle n’y croyait guère, persuadée que la Pierre de Sagesse ne livrerait
pas tous ses secrets. Il
fallait qu’elle en sache davantage. Elle s’apprêtait à partir d’une heure à
l’autre pour la ville de Grasse où elle avait rendez-vous avec un dénommé
Botton, l’un des meilleurs nez de la place !
6 Dans
la Cité des parfums, Yves Botton passait son temps à travailler… « Mon
travail, c'est toute ma vie. Cela ne m'a pas donné l'opportunité de
rencontrer une femme et de créer une famille… Il faut dire que je ne suis pas
dans la séduction, offrir des fleurs c'est maintenant devenu ringard ! Mais
je pense quand même souvent aux fleurs qui éclosent au printemps. Après la
cueillette, moi je vais en distiller le cœur pour garder le plus précieux
de cette âme, afin de finaliser de merveilleux parfums. J'ai toujours
autour de moi des voluptés de senteurs, ce qui fait mon charme et me
permet de vivre dans le luxe. » 7 Sarah
Belmont parcourait le monde, fascinée par toutes ces curiosités. Mais pour
elle, le territoire de la France restait un mystère à découvrir. Le taxi qui
l'emmenait chez l'illustre parfumeur, empruntait les petites routes
pittoresques, pour admirer les plus beaux panoramas. Sarah demanda au chauffeur
de s'arrêter. Elle prit son sac à dos et décida de se balader dans
l'arrière-pays Grassois. Les albizias illuminaient les plateaux. Sarah,
éblouie, cueillit quelques branches de mimosa. Elle se laissait aller à la
rêverie, tout en continuant son chemin. Elle restera quelques jours, se
dit-elle alors, pour explorer cette magnifique région. Yves Botton l'attendait,
pantois, impatient de contempler cette étrange pierre. Ils
traversèrent un grand jardin, où le mimosa éphémère régnait en maître, parmi
les camélias orangés, carmins, fuchsias. Les senteurs virevoltaient,
jusqu'à enivrer la jeune femme. Des portes s'ouvrirent sur un laboratoire
aux mille senteurs. Les précieuses fioles environnantes permettaient toutes les
audaces, pour imaginer, créer, offrir un parfum unique. Tout était permis. Sarah
était persuadée que le savoir-faire du célèbre " nez" pourrait
déceler la composition et ... Sans plus
attendre, Yves proposa d'examiner le joyaux. La jeune femme lui tendit la
pierre. Délicatement, il la roula dans ces mains, caressa sa surface polie,
l'approcha de son visage pour ressentir, la sentir. Ces deux êtres passionnés
allaient peut-être résoudre l'énigme olfactive ? 8 Dès le
matin de bonne heure, Bixente plaça habilement ses caisses dans sa camionnette,
sous le regard attentif de Kevin. Il aurait pu charger sa fourgonnette les yeux
fermés, tant il l'avait fait, si souvent, parcourant tant de kilomètres. A
Saint-Jean-de-Luz, on le connaissait bien et l'on attendait ardemment sa venue
tellement les fruits de sa production étaient savoureux. Bien sûr, tout le
monde savait qu'il avait un tempérament bien trempé. Ce matin-là, certains
s’étonnèrent de le voir flanqué d’un petit blondinet rieur d'une vingtaine
d'années ! Il ne le ménageait guère et il aller le promener partout où il
irait. 9 Après le
marché, Bixente avait fait quelques pas vers le port. Il regarda un vieux
voilier qui se dandinait dans le bassin, c’était celui de Gwénael qui venait
juste d’arriver au Pays basque. Navigant
durant plusieurs semaines, le breton avait réfléchi à toutes les possibilités
de retrouver son amie d’enfance, qu’il avait perdue de vue depuis plusieurs
années. Sans laisser de traces, Emilie ne lui avait rien transmis, pas un mot,
pas d’appel. Mystère. Pendant ses longues journées de voyages, il avait
parcouru un magazine dans lequel il avait découvert l’existence d’une jeune
archéologue… Dans une interview, elle avait raconté l’histoire d’une pierre
étrange aux pouvoirs magiques. Ferait-elle revenir les disparus et les morts ?
S’était alors sérieusement questionné Gwénaël. Après avoir amarré son voilier dans
le port de Saint-Jean-de-Luz, il se rendit sur la place Louis XIV, juste en
face de la maison de l’Infante où le roi était venu chercher sa fiancée.
Gwénaël voulait boire un verre pour calmer son excitation. En écoutant les
conversations, il découvrit un certain Kevin qui se vantait d’être récemment
sorti de prison et de vouloir vivement connaître l’aventure ! Avec le
jeune homme, se trouvait un paysan d’une cinquantaine d’années qui répondait au
curieux nom de Bixente. Il disait s’ennuyer souvent, alors évidemment, il s’amusait
de voir que Kevin voulait profiter de la vie ! En leur offrant un verre,
Gwénaël leur proposa de partir en bateau avec lui, leur offrant ainsi la
possibilité de voyager et de trouver ensemble ce qu’ils souhaitaient vivre. L’aventure ! -Je
vous préviens, dit-il, je ne sais pas où
cela nous conduira, mais je ne peux vivre sans avoir tout
essayer pour retrouver celle que j’aime, même dans l’autre monde ! Et
voyez-vous, j’ai entendu parler de pierres magiques qui pourraient retrouver
les âmes perdues… Il leur
parla alors de son amie Emilie, jusqu’à les saouler. - C’est au Sahara… Soyez courageux,
enchaîna-t-il… - Nous venons avec vous ! crièrent
de tout cœur et largement éméchés les deux hommes qui se connaissaient à peine
et venaient de lier un pacte vers l’inconnu. Sous
l’effet de l’alcool, le trio rejoignit le bateau du poète breton et ils
roupillèrent sans effort dans leur cabine respective. D’humeur
inspirée et joyeuse, Gwénaël écrivit ce soir-là plusieurs vers adressés à sa
bienaimée disparue :
Le
lendemain de cette soirée agitée passée sur le port, Bixente sentit sa tête un
peu lourde et le cheveu douloureux, 10 Dans le
laboratoire de Yves Botton, Sarah Belmont observait attentivement le parfumeur
occupé à sentir et à examiner la mystérieuse pierre. Fermant les yeux, restant dans
l’obscurité la plus totale, il humait la pierre. Dans ses mains, il la
tournait, la retournait. Le parfumeur murmura : -Je
sens… Je sens… Oui, je sens, une sorte de petit extrait de coquelicot très
finement, presque infime, mais présent. Cependant, une autre odeur m’intrigue.
Une odeur naturelle, féminine, un léger musc. Puis vient ensuite une odeur de
soufre, de métal énergique, immensément présente. Et là, dans le cœur de la
pierre, je devine une ampleur ambrée, c’est-à-dire un élément qui allie une
impression de puissance à celle d’une richesse… Sarah, l’interrompit : -Mais,
je n’y connais rien, à tout cela.. D’après ma lecture du livre Le Parfum
de Patrick Süskind, pendant mes études, je me souviens bien que le parfum quel
qu’il soit correspond toujours à une question de vie ou de mort… Alors, je vous
le demande, que ressort-il du mystère de cette pierre ? Yves Botton enchaîna : -
Chère Madame, hélas, à la fois tout et rien…Cette pierre est évidemment symbolique
de la vie, tout dépend d’où elle provient, et à qui elle était destinée… - Je ne suis pas calée sur la lithographie, mais je sais juste qu’elle est hors norme et mystérieuse, voire cosmique. 11 En
fin d'après-midi, après une route fatigante, Bixente et Kevin arrivèrent devant
la fabrique de parfums avec des gerbes de fleurs dans les bras. Ils scrutèrent
l’édifice imposant et luxueux qui se dressait devant eux, là où naissent des
senteurs improbables, dispersant des effluves qui donnent à tout l’arrière-pays
Grassois un arôme unique au monde. C’était la fameuse fabrique Molinar et ils
se trouvaient juste devant. Tandis que
Kevin demeurait muet, son compère s’imaginait déjà, des billets dans ses
poches. -Je
sens qu’ici mes fleurs sont à leur place, et que je vais faire du bon business !
chantonna-t-il à voix basse. Il se voyait
déjà bouleverser le monde avec ses fleurs si particulières. Visionnaire un
jour, visionnaire toujours ! Ils pénétrèrent
religieusement dans la laboratoire ultra-sécurisé. Quelques
instants plus tard, ils arrivèrent dans le bureau de Yves Botton. Là, à
quelques mètres, ils saisirent plusieurs mots échangés entre le parfumeur et
une très belle jeune femme. -Cette pierre a des pouvoirs, des
odeurs, des savoir-faire… Mais j’ignore comment la tenir, oui, comment la
placer pour en trouver tout le suc de la Sagesse… Il lui
assura en avoir entendu parler au cours de lectures hasardeuses. Il poursuivit. -C’était
un livre très ancien dont il ne resterait que quelques exemplaires sur la
planète… Sarah semblait
stupéfaite. Les yeux de
Kevin se fixèrent immédiatement sur le pendentif de la jeune femme, dont Yves venait
de décortiquer olfactivement la pierre. Interloqués, Bixente et le jeune Kevin
se regardèrent. - Ils devraient lire L’Instruction à
la Sagesse, murmura Bixente… - Oh ! Vous l’avez lu, vous
aussi ? demanda Kevin. Moi, je l’ai lu en prison… - Ah, c’est drôle ! Moi j’en avais un
exemplaire abîmé, autrefois… Botton et
la jeune archéologue les écoutaient en silence. -
De quel livre parlez-vous ? -
De celui qui semble vous intéresser, je pense…Peut-être en trouverons-nous un
exemplaire chez un marchand de livres anciens, j’en connais un à Bayonne… -
Bayonne ! S’écria le parfumeur. Allons-y tous alors… -
Mais, on arrive juste du Pays basque… Avant de repartir, j’aimerais vous
montrer mes fleurs et en parler avec vous… -
Entendu… Nous allons parler affaires. On se retrouve tous après, au restaurant
en face de la mairie de Grasse, en plein centre-ville. C’est moi qui invite…Vous
verrez, ils servent des plats de viande délicieuse, décorés de fleurs
splendides. Ici les pétunias, magnolias et autres violettes se mangent en
accompagnement… Quelques
minutes plus tard, Bixente, persuadé de le convaincre,
argumentait, valorisait l'apport de la biodiversité pour cultiver des fleurs
d'une exceptionnelle qualité. Yves Botton humait les délicates senteurs à
plusieurs reprises, conquis. Il proposa de découvrir les procédés
de distillation pour extraire les différentes essences. Sarah et Kevin quittèrent le
laboratoire en premiers et arrivés devant le restaurant, ils s’installèrent en
terrasse. Le début de printemps semblait délicieux. - Racontez-moi ce fameux livre, Kevin… -
Si vous le voulez… Ce livre
m'a aidé à philosopher ma vie. Il contient certaines citations de noblesse,
très moralistes. Pour moi, il contribue surtout à pouvoir se reconnaître dans
ce monde fantaisiste et si compliqué. En fait, ce ne sont rien que des mots qui
ont pour titre bien plus que des lettres ! J’ai plongé dedans ! Il
propose une morale incomparable, face au miroir du monde...Finalement, c’est
une histoire qui suggère beaucoup d’attention...Au fur-et-à-mesure de ma
lecture, ma visualisation devenait plus claire, le sens et le poids des mots se
lisaient avec précision, je devrais dire avec détermination. Ce qui est
extraordinaire, c’est que le jour où j’ai fini de lire ce livre, on est venu
m’annoncer ma sortie définitive de prison ! J’étais un homme libre... -
C’est formidable, tout ce que vous dites… - Pour acquérir la sagesse, il est dit aussi
que tout peut être utilisé, les pierres, par exemple… - Les pierres, comme celle-ci ? Les yeux de
Kevin se fixèrent une nouvelle fois sur le pendentif de la jeune archéologue. -Elle est splendide ! - Oui, mais elle pourrait aussi parler
avec une sorte de langage olfactif… -Je n’avais pas trop compris ça dans le
livre.. - Vous le relirez… Au
cours du repas, leurs quatre regards s’entrecroisèrent, révélant la même
pétillance, la même excitation, le même besoin d’en apprendre davantage. Alors, d’un
hochement de tête synchronisé, ils décidèrent de se mettre en route sans plus
tarder, direction cette petite librairie comme il n’en n’existait plus, sans
doute emplie de trésors, qui peut-être leur livreraient, sans jeu de mots, un
secret inestimable pour chacun d’entre eux. Pour Sarah dont la vie était
consacrée à retracer l’Histoire, cette boutique pourrait représenter le reflet
du temps passé et oublié. 12 Gwénaël
avait navigué plusieurs heures en suivant la côte basque lorsqu’il arriva devant
l’estuaire de l’Adour, et il décida d’aller découvrir la ville de Bayonne où il
s’amarra enfin avant d’aller flâner dans la grande cité basque. Traversant le
vieux quartier du Petit Bayonne, il s’arrêta un instant pour choisir la route à
suivre. Ému par une vieille enseigne en fer forgé très travaillé, Gwénaël se
laissa porter par son intuition de navigateur. Il prit le chemin montant de la
petite rue et stationna un moment devant la vitrine très décorée de livres
anciens. La
librairie se dénommait L’Esprit d’un temps. Gwénaël avait sonné plusieurs
fois à la porte du petit magasin pour annoncer sa visite. Un vieil homme à
la démarche non assurée lui ouvrit la porte. Intrigué, le navigateur breton
entra dans la boutique. Aussi ancien que ses livres, le libraire lui était apparu,
tout ébouriffé. « Cette caverne m’apparaît des plus propices, songea le
marin. Je m’y sens bien… » -
Bonjour, Monsieur. Soyez le bienvenue. Prenez votre temps. Ces instants
partagés peuvent être des refuges ou un voyage au long court. Vous devez aimer
la littérature, car maintenant peu de gens prennent le chemin des livres.
Faites comme chez vous, je reviens à vous dans quelques instants…… Peu
surpris par la confiance du vieil homme, Gwénael se laissa porter. Il allait
errer dans les méandres des rayonnages, il souleva quelques livres, quand il
aperçut posée sur une table face à lui une peinture de bonne facture
représentant une femme à l’allure très harmonieuse. Il se rapprocha du tableau
pour contempler les traits fins du modèle. Il s’arrêta suspicieux. Ce visage
lui rappelait quelqu’un. Ebloui par ce mirage, une peur forte, comme une
désillusion vive, distillèrent son attention. Il tourna rapidement la tête,
mais il poursuivit son approche d’un pas plus lent, moins serein. Malgré la
mauvaise lumière de cette pièce mal éclairée et grisâtre, il venait
de La reconnaître.. A proximité du portrait, il reconnut la jeune femme
au collier. C’était son Emilie, il se souvenait que parfois il l’appelait Amélie,
l’amour de sa vie, égarée dans une librairie. Une larme sur sa joue confirma la
rencontre…. Il devint blême, tremblant. La sueur perlait de chaque côté de
ses lunettes, il bafouilla : -
Emilie, Amélie… Il ne put
s'empêcher alors de demander au vieux libraire comment il avait
acquis ce tableau. -Ma
sœur me l'a offert pour mon anniversaire, dit le libraire. Rapidement,
Gwénaël lui proposa de lui acheter. -Votre
prix sera le mien ! Il n'y
croyait plus. En effet il cherchait cette femme depuis bien longtemps. Il
scruta un moment la signature du tableau, G. La Forêt. Ce nom ne lui
disait rien, mais il était bien décidé à retrouver ce peintre afin qu'il lui
raconte les circonstances de la création de l'œuvre étrange qu'il avait devant
lui.
Arrivés
à Bayonne, les quatre voyageurs partis de Grasse quelques heures auparavant trouvèrent
vite la boutique qui les intéressait. Dans la
vitrine du vieux libraire, de très jolis
portraits féminins trônaient sur les murs. Lorsqu’ils entrèrent, l’odeur de la
boutique leur sembla déjà être en soi une promesse. La
pierre posée au creux de sa main droite, Yves Botton tentait d’écouter les mots
qu’il sentait se former sur son épiderme. Les autres étaient à l’affût, autour
du parfumeur, intrigués. Dès que le meilleur nez de Grasse arrivait à capter un
mot, il le répétait à voix basse pour que le poète breton et Sarah Belmont puissent
l’écrire dans l’instant. Un autre traité de Sagesse s’imposait alors peu
à peu à eux et enfin une signature se forma, c’était écrit Emilie… |