Rien que des mots,
Bien plus que des lettres

Nouvelle romanesque collective
Conçue, imaginée, écrite et organisée en trois journées de stage d'écriture
23-24-25 février 2022

 

 Alix - Boban - Catherine - Joël - Kamel - Noella
Sylvie - Yaëlle, avec Patricia Baud et Alain Bellet

Photographies d'illustrations
Patricia Baud, Alix Duong, Alain Bellet


1

Dans le fond d’une boutique sombre de livres anciens, installée dans une arrière-cour voûtée du Petit-Bayonne, un vieux libraire recopiait les renseignements nécessaires pour pouvoir lancer une recherche parmi ses fournisseurs habitués à dénicher un ouvrage disparu. Son écriture ronde était régulière et pondérée. Au bout d’un long moment, il relut ce qu’il venait d’écrire à voix haute :

         -« L’Instruction à la Sagesse » a été écrit par Constant Le Tellier fils, professeur des Belles Lettres, demeurant à Paris, 6 rue Neuve Saint-Marc… Le livre publié en 1839 a été imprimé par la maison Belin-Le Prieur, installée au 5 de la rue Pavée Saint-André à Paris… Ouvrage didactique conçu pour l’usage des Maisons d’Education.

         Moins d’un mois plus tard, un vieux livre in folio relié plein cuir qui avait visiblement subi les outrages du temps glissa d’une grande enveloppe brune. La couverture avait été en partie arrachée, et d’un geste assuré le vieux collectionneur ouvrit le volume qu’il venait d’acquérir pour une assez belle somme d’argent.

L’Instruction à la Sagesse semblait s’offrir à lui comme une liqueur de jouvence. Feuilletant le vieux livre, Albert Leroy s’arrêta sur une sorte d’avant-propos : « Qui découvrira cet ouvrage et l’appréciera, verra sa vie modifiée, devenir sensée, ordonnée… »

L’Instruction à la Sagesse était avant tout un contrat de bienséance avec soi-même, un vade-mecum pour marcher droit dans l’honneur et la fierté…

Le vendeur de l’ouvrage avait eu l’honnêteté de préciser en quelques lignes :

« Ce livre n’est pas unique. Trois ou quatre exemplaires existent encore… L’état des stocks d’une bibliothèque de maison d’arrêt y fait allusion, mais personne ne sait qui l’a conduit derrière les barreaux… Par ailleurs, un brocanteur du Pays basque s’était vanté d’avoir mis la main sur L’Instruction de la Sagesse, et selon lui, un paysan un peu rêveur l’avait acquis pour quelques francs à l’époque… Le dernier exemplaire avait été acheté par un aventurier bellâtre qui adorait fréquenter les milieux scientifiques en missions improbables… »

L’Instruction à la Sagesse évoquait l’importance des cinq sens et le vieux libraire pensa qu’on oubliait souvent la dimension olfactive du monde, on omettait aussi le minéral. Pouvaient-ils se rejoindre tous les deux ?

2

« Sur le port de Camaret dans le Finistère, Gwénaël, les cheveux récemment poivrés sel, la barbe taillée au couteau, les épaules carrées, laissait dans son sillage une emprunte charismatique de Viking. D’allure sportive dans sa marinière ample et son jean délavé, il marchait d’un pas décidé le long de la falaise regardant l’infini.

Des mois de préparations acharnées à retaper une vieille coque l’avaient rendu fou d’impatience à l’idée de prendre le large ! L’idée de partir une nouvelle fois en solitaire au gré des horizons lointains sur son vieux gréement le rendait extrêmement heureux. Il contemplait émerveillé la brume planer en ce début de mois de septembre. Celle-ci, se dit-il, apporte aux paysages marins des contrastes voilés et mystérieux. Le sable se confond avec le large. Gwénaël était devenu au fil du temps un véritable passionné, un addict de la mer.

 Denver, son golden retriever allait être de la partie, il avait passé de longues heures à observer les coups de pinceaux, les ponçages, les couleurs reprisées.

De toutes ses aventures, celle-ci se distinguait par une promesse. En effet, il rêvait depuis plusieurs années de raconter à ses vieux parents ses mémoires.

Une sorte d’hommage en lien avec leurs profonds désaccords, leurs divergences de points de vue… Des années d’errance, de fugues, de colères, d’incompréhensions, de sermons lui avaient laissé à la fois un goût amer. Cela lui avait aussi permis de se construire. Certes, il reconnaissait son caractère bien trempé et assumait pleinement le choix de son parcours semé d’embûches, de tempêtes… Pour tout cela et bien plus encore, il leur serait reconnaissant. Maintenant, il savait qu’il allait reprendre la mer et mettre le cap sur le Golfe de Gascogne !

3

  •   Bixente, le paysan basque, amoureux de liberté et d’authenticité, avait rendu visite à sa vieille mère..
  •           - Quand-est-ce que tu pars à Grasse, pour voir ce Monsieur Yves Botton ? »
  •           - Samedi prochain, et je reviendrai lundi »
  •            - Tu vas essayer de lui vendre ta culture-bio ? J’espère que tu vas réussir, mon petit, car on s'appauvrit avec cette culture, et les fins de mois deviennent de plus en plus difficiles. Ah, si ton grand père voyait ça !Je ne suis pas sûre que tu aies fait le bon choix, les deux autres fermes du village avec leur culture intensive ont moins de soucis que nous. Tu es un idéaliste. »
  • - Je me rends là-bas aussi pour lui parler du livre que j'ai trouvé dans le fonds de la grange, pour évoquer le chapitre où l'écrivain décrit une pierre unique à l'odeur enivrante… Elle aurait des pouvoirs magiques et serait localisée en Afrique. J'ai lu dans une revue scientifique qu'une archéologue avait découvert il y a juste un an une pierre comme celle qui est décrite dans le livre. Et qu'elle venait d'obtenir un financement pour aller effectuer des fouilles. C'est peut être un investissement pour demain… Je vais te laisser, maintenant, Maman. Avec les légumes et les fruits que j’ai récoltés, je dois aller au marché au plus vite !

    En effet, avant de se rendre à Grasse, Bixente avait chargé son camion pour aller vendre sa production de fleurs et de légumes au marché de Saint-Jean-de-Luz.
    En chemin, il s’arrêta pour prendre un auto-stoppeur appelé Kevin. Le jeune inconnu lui expliqua qu'il cherchait du travail et lui avoua qu'il venait juste de sortir de la prison de Pau.

    Il ajouta qu’avant d’être arrêté, il avait passé son permis de conduire, et que cela pouvait lui servir ! Bixente pensa que c'était un signe. Que cette rencontre ne fût pas un hasard et il lui proposa de l'emmener à Grasse voir un parfumeur à qui il voulait vendre ses fleurs, puis après il l'embaucherait à la ferme pour toute la saison où de nombreuses cueillettes de fruits et de légumes allaient se succéder.

    Kevin était ravi ! La vie semblait enfin lui sourire. Sa liberté de mouvement recouvrée, il avait décidé de s’investir dans la quête d’une pierre précieuse longuement évoquée dans le vieux livre qu’il avait lu en détention, découvert par hasard à  la bibliothèque de la maison d’arrêt.

    Avec leur différence d’âge, Bixente ne se doutait pas que le jeune homme allait devenir son ami et qu’ils allaient vivre ensemble une grande escapade ! Il s’interrogeait. Avaient-ils vraiment lu le même livre ?

    4

    Un ami m’a raconté une bien belle histoire. Depuis son enfance, dans un coin poussiéreux, ensoleillé au printemps, un chat des plus soyeux sommeillait chaque jour à la même place dans une maison très isolée. Opportunité ou béatitude, après quelques heures de retraite, l’animal sortait de sa cachette, transformé.

    Pour élucider l’énigme de cette disparition ritualisée, un après-midi, intriguée, sa maîtresse se posta en position d’attente pour découvrir le secret de cette habitude. Si ce félin si précieux et plutôt nonchalant prenait après l’heure du repas un chemin bien biscornu pour se retrouver dans un grenier poussiéreux, lui qui passait le reste de sa vie diurne à lustrer son joli poil, il devait avoir une sacrée raison.

    Mais autre surprise, l’animal réagissait comme-ci il n’était pas seul dans ce coin de grenier isolé. Il caressait de sa tête affectueuse, le visage d’une très belle femme dont le portrait peint trônait dans un recoin de la pièce. Cette jeune femme digne, légèrement vêtue de dentelle ouvragée éclairait le lieu d’un sourire énigmatique. Cette Joconde d’un autre siècle portait à son cou un pendentif ouvragé d’une grande pierre verte et scintillante. Les narines du matou extasié reposaient juste au-dessus du bijou, il semblait inhaler un élixir des plus savants…

    La maîtresse du chat, de nature plutôt expansive, s’empressa de raconter sa découverte auprès des différents éleveurs et primeurs du marché de son village. Elle aimait parler, alors elle conta avec de multiples détails les péripéties du chat, du tableau, du pendentif, du livre tenu dans les mains du portrait. Son tempérament fantasque qu’elle cultivait lors de son travail de bénévole en prison, l’amena jusqu’à embellir ce nouveau récit par un poème intitulé, le chat et la dame au collier

             Le chat et la dame au collier
             Sur son cœur, un pendentif formait une fleur
             Le chat, de ses moustaches ressentait la chaleur
             Une odeur subtile enivrait la bête de ses senteurs
             Sentinelle, l’animal devenait le gardien du bonheur
             Un livre ancien se tenait dans ses mains
             Sur la couverture, quatre mots s’exposaient
             Sagesse et Jeunesse… Métamorphose et Sentiment…

     

    5

    Une jeune archéologue expérimentée mâchouillait le bout de son crayon, songeuse. Jusqu’à présent, la vie de Sarah Belmont n’avait été faite que d’évènements consécutifs à de belles rencontres. Elle avait presque oublié l’homme pourtant si enthousiaste dans une découverte qu’il avait tenu à lui faire partager. Un livre rare, très ancien, qui traitait de L’Instruction à la Sagesse !  On y parlait d’une pierre précieuse envoutée, envoutante, presque magique, mystique. Une  pierre qui peut simplement vous élever vers la Sagesse !

    Elle sortit d’un coffret une jolie pierre à la couleur indéfinie, auréolée de reflets translucides. Elle l’avait dénichée quelques années auparavant lors d’une mission au Sahara. Se pourrait-il ….. ?

    Elle décida en une fraction de seconde de conjuguer son proche départ au Sahara pour une nouvelle mission et la perspective d’en apprendre sur cette pierre, ses origines, ses vertus.

    Elle partit alors dans des flash-backs de cette ancienne mission avec d’autres chercheurs lorsque cette pierre avait quasiment jailli du sol sous leurs yeux, incongrue dans ce désert, inconnue, hypnotisante. Mais comme cette jolie découverte n’avait pas de lien avec les fouilles de l’époque, elle en avait fait un simple pendentif.

    Un simple pendentif ? Parfois la concomitance de certains évènements vous semble de prime abord ésotérique, il faut alors en creuser le sens.

    Elle se souvint avoir vu quelque part….il y a fort longtemps …mais où donc …un  joli portrait, représentant très discrètement ce pendentif. La Pierre de la Sagesse. Était-elle unique ? Que représentait-elle ? Sarah devait percer ses secrets. Cela lui apparaissait brutalement comme une évidence, une nécessité dans la construction de son avenir. Elle sortit de son bureau, une réservation d’avion dans la poche.

     

    Sarah au Sahara. Joli signe !

    Elle ne pouvait s’empêcher de porter la pierre vers son nez, comme une addiction, dégageant bien plus qu’une odeur agréable, mais un subtil parfum. Sarah ne pouvait comparer cette sensation à aucune autre. Seul un véritable nez de métier, saurait peut-être identifier la provenance de certaines de ces fragrances apaisantes ?

    Cependant, elle n’y croyait guère, persuadée que la Pierre de Sagesse ne livrerait pas tous ses secrets.

    Il fallait qu’elle en sache davantage. Elle s’apprêtait à partir d’une heure à l’autre pour la ville de Grasse où elle avait rendez-vous avec un dénommé Botton, l’un des meilleurs nez de la place !


    6

    Dans la Cité des parfums, Yves Botton passait son temps à travailler… « Mon travail, c'est toute ma vie. Cela ne m'a pas donné l'opportunité de rencontrer une femme et de créer une famille… Il faut dire que je ne suis pas dans la séduction, offrir des fleurs c'est maintenant devenu ringard ! Mais je pense quand même souvent aux fleurs qui éclosent au printemps. Après la cueillette, moi je vais en distiller le cœur pour garder le plus précieux de cette âme, afin de finaliser de merveilleux parfums. J'ai toujours autour de moi des voluptés de senteurs, ce qui fait mon charme et me permet de vivre dans le luxe. »

     

    7

    Sarah Belmont parcourait le monde, fascinée par toutes ces curiosités. Mais pour elle, le territoire de la France restait un mystère à découvrir. Le taxi qui l'emmenait chez l'illustre parfumeur, empruntait les petites routes pittoresques, pour admirer les plus beaux panoramas. Sarah demanda au chauffeur de s'arrêter. Elle prit son sac à dos et décida de se balader dans l'arrière-pays Grassois. Les albizias illuminaient les plateaux. Sarah, éblouie, cueillit quelques branches de mimosa. Elle se laissait aller à la rêverie, tout en continuant son chemin. Elle restera quelques jours, se dit-elle alors, pour explorer cette magnifique région. Yves Botton l'attendait, pantois, impatient de contempler cette étrange pierre.

     

    Ils traversèrent un grand jardin, où le mimosa éphémère régnait en maître, parmi les camélias orangés, carmins, fuchsias. Les senteurs virevoltaient, jusqu'à enivrer la jeune femme. Des portes s'ouvrirent sur un laboratoire aux mille senteurs. Les précieuses fioles environnantes permettaient toutes les audaces, pour imaginer, créer, offrir un parfum unique. Tout était permis. Sarah était persuadée que le savoir-faire du célèbre " nez" pourrait déceler la composition et ...

    Sans plus attendre, Yves proposa d'examiner le joyaux. La jeune femme lui tendit la pierre. Délicatement, il la roula dans ces mains, caressa sa surface polie, l'approcha de son visage pour ressentir, la sentir. Ces deux êtres passionnés allaient peut-être résoudre l'énigme olfactive ?

    8

    Dès le matin de bonne heure, Bixente plaça habilement ses caisses dans sa camionnette, sous le regard attentif de Kevin. Il aurait pu charger sa fourgonnette les yeux fermés, tant il l'avait fait, si souvent, parcourant tant de kilomètres.

    A Saint-Jean-de-Luz, on le connaissait bien et l'on attendait ardemment sa venue tellement les fruits de sa production étaient savoureux. Bien sûr, tout le monde savait qu'il avait un tempérament bien trempé. Ce matin-là, certains s’étonnèrent de le voir flanqué d’un petit blondinet rieur d'une vingtaine d'années ! Il ne le ménageait guère et il aller le promener partout où il irait.

    9

    Après le marché, Bixente avait fait quelques pas vers le port. Il regarda un vieux voilier qui se dandinait dans le bassin, c’était celui de Gwénael qui venait juste d’arriver au Pays basque.

    Navigant durant plusieurs semaines, le breton avait réfléchi à toutes les possibilités de retrouver son amie d’enfance, qu’il avait perdue de vue depuis plusieurs années. Sans laisser de traces, Emilie ne lui avait rien transmis, pas un mot, pas d’appel. Mystère. Pendant ses longues journées de voyages, il avait parcouru un magazine dans lequel il avait découvert l’existence d’une jeune archéologue… Dans une interview, elle avait raconté l’histoire d’une pierre étrange aux pouvoirs magiques. Ferait-elle revenir les disparus et les morts ? S’était alors sérieusement questionné Gwénaël.

    Après avoir amarré son voilier dans le port de Saint-Jean-de-Luz, il se rendit sur la place Louis XIV, juste en face de la maison de l’Infante où le roi était venu chercher sa fiancée. Gwénaël voulait boire un verre pour calmer son excitation. En écoutant les conversations, il découvrit un certain Kevin qui se vantait d’être récemment sorti de prison et de vouloir vivement connaître l’aventure ! Avec le jeune homme, se trouvait un paysan d’une cinquantaine d’années qui répondait au curieux nom de Bixente. Il disait s’ennuyer souvent, alors évidemment, il s’amusait de voir que Kevin voulait profiter de la vie ! En leur offrant un verre, Gwénaël leur proposa de partir en bateau avec lui, leur offrant ainsi la possibilité de voyager et de trouver ensemble ce qu’ils souhaitaient vivre. L’aventure !

    -Je vous préviens, dit-il, je ne sais pas où  cela nous conduira, mais je ne peux vivre sans avoir tout essayer pour retrouver celle que j’aime, même dans l’autre monde ! Et voyez-vous, j’ai entendu parler de pierres magiques qui pourraient retrouver les âmes perdues…

    Il leur parla alors de son amie Emilie, jusqu’à les saouler.

             - C’est au Sahara… Soyez courageux, enchaîna-t-il…

             - Nous venons avec vous ! crièrent de tout cœur et largement éméchés les deux hommes qui se connaissaient à peine et venaient de lier un pacte vers l’inconnu.

    Sous l’effet de l’alcool, le trio rejoignit le bateau du poète breton et ils roupillèrent sans effort dans leur cabine respective.

    D’humeur inspirée et joyeuse, Gwénaël écrivit ce soir-là plusieurs vers adressés à sa bienaimée disparue :

    « A travers cette pierre, je te verrai ma douce,
    A travers cette lune, je te rejoindrai en douce
    A travers ces océans, je naviguerai vers toi aveuglément
    A travers cette pierre, je te retrouverai et te serrerai tel un aimant
    Car je t’aime énormément…
     

    Le lendemain de cette soirée agitée passée sur le port, Bixente sentit sa tête un peu lourde et le cheveu douloureux,

    10

    Dans le laboratoire de Yves Botton, Sarah Belmont observait attentivement le parfumeur occupé à sentir et à examiner la mystérieuse pierre.

    Fermant les yeux, restant dans l’obscurité la plus totale, il humait la pierre. Dans ses mains, il la tournait, la retournait. Le parfumeur murmura :

             -Je sens… Je sens… Oui, je sens, une sorte de petit extrait de coquelicot très finement, presque infime, mais présent. Cependant, une autre odeur m’intrigue. Une odeur naturelle, féminine, un léger musc. Puis vient ensuite une odeur de soufre, de métal énergique, immensément présente. Et là, dans le cœur de la pierre, je devine une ampleur ambrée, c’est-à-dire un élément qui allie une impression de puissance à celle d’une richesse…

    Sarah, l’interrompit :

             -Mais, je n’y connais rien, à tout cela.. D’après ma lecture du livre Le Parfum de Patrick Süskind, pendant mes études, je me souviens bien que le parfum quel qu’il soit correspond toujours à une question de vie ou de mort… Alors, je vous le demande, que ressort-il du mystère de cette pierre ?

    Yves Botton enchaîna :

             - Chère Madame, hélas, à la fois tout et rien…Cette pierre est évidemment symbolique de la vie, tout dépend d’où elle provient, et à qui elle était destinée…

             - Je ne suis pas calée sur la lithographie, mais je sais juste qu’elle est hors norme et mystérieuse, voire cosmique.

    11

    En fin d'après-midi, après une route fatigante, Bixente et Kevin arrivèrent devant la fabrique de parfums avec des gerbes de fleurs dans les bras. Ils scrutèrent l’édifice imposant et luxueux qui se dressait devant eux, là où naissent des senteurs improbables, dispersant des effluves qui donnent à tout l’arrière-pays Grassois un arôme unique au monde. C’était la fameuse fabrique Molinar et ils se trouvaient juste devant.

    Tandis que Kevin demeurait muet, son compère s’imaginait déjà, des billets dans ses poches.

    -Je sens qu’ici mes fleurs sont à leur place, et que je vais faire du bon business ! chantonna-t-il à voix basse.

    Il se voyait déjà bouleverser le monde avec ses fleurs si particulières. Visionnaire un jour, visionnaire toujours !

    Ils pénétrèrent religieusement dans la laboratoire ultra-sécurisé.

    Quelques instants plus tard, ils arrivèrent dans le bureau de Yves Botton. Là, à quelques mètres, ils saisirent plusieurs mots échangés entre le parfumeur et une très belle jeune femme.

             -Cette pierre a des pouvoirs, des odeurs, des savoir-faire… Mais j’ignore comment la tenir, oui, comment la placer pour en trouver tout le suc de la Sagesse…

    Il lui assura en avoir entendu parler au cours de lectures hasardeuses. Il poursuivit.

    -C’était un livre très ancien dont il ne resterait que quelques exemplaires sur la planète…

    Sarah semblait stupéfaite.

    Les yeux de Kevin se fixèrent immédiatement sur le pendentif de la jeune femme, dont Yves venait de décortiquer olfactivement la pierre. Interloqués, Bixente et le jeune Kevin se regardèrent.

             - Ils devraient lire L’Instruction à la Sagesse, murmura Bixente…

             - Oh ! Vous l’avez lu, vous aussi ? demanda Kevin. Moi, je l’ai lu en prison…

             - Ah, c’est drôle ! Moi j’en avais un exemplaire abîmé, autrefois…

    Botton et la jeune archéologue les écoutaient en silence.

    - De quel livre parlez-vous ?

    - De celui qui semble vous intéresser, je pense…Peut-être en trouverons-nous un exemplaire chez un marchand de livres anciens, j’en connais un à Bayonne…

    - Bayonne ! S’écria le parfumeur. Allons-y tous alors…

    - Mais, on arrive juste du Pays basque… Avant de repartir, j’aimerais vous montrer mes fleurs et en parler avec vous…

    - Entendu… Nous allons parler affaires. On se retrouve tous après, au restaurant en face de la mairie de Grasse, en plein centre-ville. C’est moi qui invite…Vous verrez, ils servent des plats de viande délicieuse, décorés de fleurs splendides. Ici les pétunias, magnolias et autres violettes se mangent en accompagnement…

    Quelques minutes plus tard, Bixente,  persuadé de  le convaincre,  argumentait, valorisait l'apport de la biodiversité pour cultiver des fleurs d'une exceptionnelle qualité. Yves Botton  humait les délicates senteurs à plusieurs reprises, conquis. Il  proposa  de découvrir les procédés de distillation pour extraire les différentes essences.

     

             Sarah et Kevin quittèrent le laboratoire en premiers et arrivés devant le restaurant, ils s’installèrent en terrasse. Le début de printemps semblait délicieux.

             - Racontez-moi ce fameux livre, Kevin…

    - Si vous le voulez… Ce livre m'a aidé à philosopher ma vie. Il contient certaines citations de noblesse, très moralistes. Pour moi, il contribue surtout à pouvoir se reconnaître dans ce monde fantaisiste et si compliqué. En fait, ce ne sont rien que des mots qui ont pour titre bien plus que des lettres ! J’ai plongé dedans ! Il propose une morale incomparable, face au miroir du monde...Finalement, c’est une histoire qui suggère beaucoup d’attention...Au fur-et-à-mesure de ma lecture, ma visualisation devenait plus claire, le sens et le poids des mots se lisaient avec précision, je devrais dire avec détermination. Ce qui est extraordinaire, c’est que le jour où j’ai fini de lire ce livre, on est venu m’annoncer ma sortie définitive de prison ! J’étais un homme libre...

    - C’est formidable, tout ce que vous dites…

             - Pour acquérir la sagesse, il est dit aussi que tout peut être utilisé, les pierres, par exemple…

             - Les pierres, comme celle-ci ?

    Les yeux de Kevin se fixèrent une nouvelle fois sur le pendentif de la jeune archéologue.

             -Elle est splendide !

             - Oui, mais elle pourrait aussi parler avec une sorte de langage olfactif…

             -Je n’avais pas trop compris ça dans le livre..

             - Vous le relirez…

     

    Au cours du repas, leurs quatre regards s’entrecroisèrent, révélant la même pétillance, la même excitation, le même besoin d’en apprendre davantage.

    Alors, d’un hochement de tête synchronisé, ils décidèrent de se mettre en route sans plus tarder, direction cette petite librairie comme il n’en n’existait plus, sans doute emplie de trésors, qui peut-être leur livreraient, sans jeu de mots, un secret inestimable pour chacun d’entre eux. Pour Sarah dont la vie était consacrée à retracer l’Histoire, cette boutique pourrait représenter le reflet du temps passé et oublié.

    12

    Gwénaël avait navigué plusieurs heures en suivant la côte basque lorsqu’il arriva devant l’estuaire de l’Adour, et il décida d’aller découvrir la ville de Bayonne où il s’amarra enfin avant d’aller flâner dans la grande cité basque. Traversant le vieux quartier du Petit Bayonne, il s’arrêta un instant pour choisir la route à suivre. Ému par une vieille enseigne en fer forgé très travaillé, Gwénaël se laissa porter par son intuition de navigateur. Il prit le chemin montant de la petite rue et stationna un moment devant la vitrine très décorée de livres anciens.

    La librairie se dénommait L’Esprit d’un temps. Gwénaël  avait sonné plusieurs fois à la porte du petit magasin pour annoncer sa visite. Un vieil homme à la démarche non assurée lui ouvrit la porte. Intrigué, le navigateur breton entra dans la boutique. Aussi ancien que ses livres, le libraire lui était apparu, tout ébouriffé. « Cette caverne m’apparaît des plus propices, songea le marin. Je m’y sens bien… »

    - Bonjour, Monsieur. Soyez le bienvenue. Prenez votre temps. Ces instants partagés peuvent être des refuges ou un voyage au long court. Vous devez aimer la littérature, car maintenant peu de gens prennent le chemin des livres. Faites comme chez vous, je reviens à vous dans quelques instants……

    Peu surpris par la confiance du vieil homme, Gwénael se laissa porter. Il allait errer dans les méandres des rayonnages, il souleva quelques livres, quand il aperçut posée sur une table face à lui une peinture de bonne facture représentant une femme à l’allure très harmonieuse. Il se rapprocha du tableau pour contempler les traits fins du modèle. Il s’arrêta suspicieux. Ce visage lui rappelait quelqu’un. Ebloui par ce mirage, une peur forte, comme une désillusion vive, distillèrent son attention. Il tourna rapidement la tête, mais il poursuivit son approche d’un pas plus lent, moins serein. Malgré la mauvaise lumière de cette pièce mal éclairée et grisâtre, il venait de La reconnaître.. A proximité du portrait, il reconnut la jeune femme au collier. C’était son Emilie, il se souvenait que parfois il l’appelait Amélie, l’amour de sa vie, égarée dans une librairie. Une larme sur sa joue confirma la rencontre…. Il devint blême, tremblant. La sueur perlait de chaque côté de ses lunettes, il bafouilla :

    - Emilie, Amélie…

    Il ne put s'empêcher alors de demander au vieux libraire comment il avait acquis ce tableau.

    -Ma sœur me l'a offert pour mon anniversaire, dit le libraire.

    Rapidement, Gwénaël lui proposa de lui acheter.

    -Votre prix sera le mien !

    Il n'y croyait plus. En effet il cherchait cette femme depuis bien longtemps. Il scruta un moment la signature du tableau, G. La Forêt. Ce nom ne lui disait rien, mais il était bien décidé à retrouver ce peintre afin qu'il lui raconte les circonstances de la création de l'œuvre étrange qu'il avait devant lui.


    Arrivés à Bayonne, les quatre voyageurs partis de Grasse quelques heures auparavant trouvèrent vite la boutique qui les intéressait.

    Dans la vitrine du vieux  libraire, de très jolis portraits féminins trônaient sur les murs. Lorsqu’ils entrèrent, l’odeur de la boutique leur sembla déjà être en soi une promesse.

    La pierre posée au creux de sa main droite, Yves Botton tentait d’écouter les mots qu’il sentait se former sur son épiderme. Les autres étaient à l’affût, autour du parfumeur, intrigués. Dès que le meilleur nez de Grasse arrivait à capter un mot, il le répétait à voix basse pour que le poète breton et Sarah Belmont puissent l’écrire dans l’instant. Un autre traité de Sagesse s’imposait alors peu à peu à eux et enfin une signature se forma, c’était écrit Emilie